Billet Iphae

Le travail : un geste qui a du sens

Les Millenials seraient-ils davantage concernés par le sens de leur travail que leurs aînés ? C’est ce que constatent un grand nombre d’observateurs. Pour ma part, j’ai l’impression que si pour les plus de 40 ans, la question du sens est importante, elle est désormais essentielle pour les nouvelles générations. D’où la question incontournable : où trouver les gisements de sens de notre travail ?

Quel est mon geste préféré ?
Travailler, c’est faire quelque chose en utilisant un geste caractéristique : l’agriculteur sème et récolte, le médecin diagnostique, le financier place, le comptable compte et ordonne, l’ouvrier produit, le chef d’entreprise entreprend, l’infirmier soigne, l’artisan produit, le chef cuisine, le professeur enseigne, le commercial vend, le kiné masse … Au jour de l’uniformisation des gestes par la technique, l’écran ou le clavier, il faut rappeler que travailler passe à l’origine par un geste simple, un mouvement et une posture du corps qui agissent sur une matière ou une personne. Demandez à un musicien pourquoi il joue. Il vous répondra probablement « parce que j’aime ça ». Qu’est ce qu’il aime ? L’univers de son activité, mais aussi et premièrement le geste qui lui permet de « faire » de la musique. Ce geste qui fait de lui un musicien, qui le rend auteur vivant d’une action spécialisée, constitue le premier gisement de sens. Aimer son travail, c’est aimer produire et répéter le geste caractéristique d’un métier, d’une fonction, sans se lasser, en y trouvant sans cesse du plaisir, en continuant d’y découvrir des richesses, en progressant… Le travail a d’autant plus de sens qu’on se sent bien avec ce geste caractéristique, qu’on est capable de l’habiter, qu’il est source de joie. Cela n’empêche pas que pour transformer ce geste en excellence, il faudra développer de l’énergie et des efforts, mais justement, on se sent prêt à le faire, parce qu’il répond à une préférence ancrée en soi.

Suis-je fier de mon œuvre ?
Tout travail aboutit à un résultat. Le chef-d’œuvre du compagnon est l’aboutissement d’un geste d’excellence qui lui a demandé d’immenses efforts. Mais au moins, a-t-il la satisfaction d’avoir là, devant lui, la preuve incontestable de son action. Cette visibilité de l’œuvre est une source de sens : non seulement j’aime ce que je fais, mais le résultat de mon effort est observable, évaluable. Combien de comités de direction ignorent le fruit visible de leurs efforts ? Combien de salariés, du fait de la division du travail, collaborent à un processus dont ils ne perçoivent jamais le résultat final ? Je crains que ceci soit une véritable épreuve de sens très mal vécue quand il n’est effectivement pas possible d’observer le fruit de son travail. A contrario, contempler, se réjouir de ce que l’on a fait, écouter le feed-back de ceux qui peuvent y référer apporte du sens.

Comment se comportent les personnes avec qui et pour qui je travaille ?
Le travail s’inscrit généralement dans la coopération d’une équipe, dans une hiérarchie, et de toute façon, il aboutit à un client. Un collègue peut vous empoisonner la vie, un supérieur hiérarchique encore plus. La structure humaine de notre travail donne du sens ou peut aussi dégénérer en atmosphère toxique insupportable qui engendre des situations de non-sens. Et que dire d’un produit bien fait qui n’intéresse aucun client ? Les interactions humaines négatives internes et externes de notre travail sont porteuses de sens, pour le meilleur ou pour le pire.

La raison d’être de mon  travail est-elle valable ?
Last but not least : l’utilité sociale de ce que l’on fait. Cette dernière question est la plus importante du point de vue du sens social. Un produit peut être bien fait, avoir des clients, mais manquer de raison d’être : où est le sens de gadgets inutiles, des produits nocifs pour la santé, de ceux qui détruisent l’environnement ? Aujourd’hui plus que jamais grandit la conscience que ces questions ne sont ni hasardeuses ni inutiles. Bien au contraire, elles deviennent prioritaires. Les Millenials tout particulièrement n’acceptent pas d’investir l’essentiel de leur temps professionnel dans une activité qui n’apporte pas une réponse explicite à ces questions.

Le sens comme fil conducteur de la personne au travail
Ces gisements de sens paraissent essentiels pour élaborer une véritable anthropologie de la personne au travail. Qu’est-ce qu’en effet une personne humaine au travail, sinon une source d’initiative qui apporte sa contribution au monde par son geste, son œuvre, son interrelation, et un service incontestable? Tant qu’elle n’expérimente pas concrètement deux ou trois de ces gisements de sens, la personne au travail souffre d’une frustration qui entame son initiative. Ce que tout manager devrait avoir à l’esprit quand il veut développer la dynamique de ses collaborateurs.

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