1- Faire vibrer sa corde intime
1889 : les frères Edouard et André Michelin reprennent les rênes de la manufacture familiale de caoutchouc à Clermont-Ferrand. André est centralien, mais curieusement c’est lui – l’ingénieur – qui s’occupera de la communication et de la publicité de l’entreprise, tandis que son frère Edouard artiste-peintre et juriste, préfèrera l’usine et la production. Comme quoi les excellences peuvent parfois se moquer des chemins tout tracés…
2- Transformer un problème en solution la meilleure
Qui a inventé le pneu démontable pour bicyclette ? Les frères Michelin. Comment ? Grâce à un infortuné cycliste anglais venu toquer à la porte de leur usine pour faire réparer son pneu… Dunlop. Nous sommes en 1891 : ni une ni deux, les frères Michelin le réparent tout en imaginant un pneu démontable. La même année, le brevet est déposé. L’année suivante, ce pneu inédit roule sur un boulevard commercial international.
3- Peaufiner ses innovations et garder le secret
« Alors qu’il faut dix ans à nos ingénieurs pour sortir un nouveau pneu ou développer une nouvelle machine, cinq minutes suffisent à comprendre un procédé, donc à le copier, et mettre au chômage nos employés.» expliquait François Michelin. De fait, le secret est un trait majeur de la culture Michelin. « Les géants américains du secteur ont toujours observé à la loupe ce qui se passait à Clermont ! » affirme-t-on dans les couloirs des usines.
Cette attitude où se mêlent imagination, audace et secret peut sembler paranoïaque, elle reste une bonne stratégie de valorisation interne : cultiver le secret, c’est donner des signes d’excellence et alimenter un sentiment positif de l’entreprise. Ce sont toujours les meilleurs que l’on veut copier.
4- Je communique, tu communiques, ils communiquent
Lu sur Wikipédia : « Michelin est un fabricant de pneumatiques français dont le siège social est à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), en France. » : en termes d’image et de communication, peut mieux faire ! Même s’il est vrai qu’a priori, bâtir un storytelling alléchant avec du caoutchouc … C’est là que le génie prend toute sa mesure : un jour de 1894, devant des pneus empilés les uns sur les autres, Édouard leur trouve une forme humaine. Bibendum est né. La célébrissime mascotte est graphiquement élaborée par le dessinateur O’Galop (pseudonyme de Marius Rossillon) qui en fait le logo publicitaire Michelin auquel on associera le slogan « Le pneu Michelin boit l’obstacle ». En 2000, ce bonhomme en caoutchouc plus que centenaire et toujours aussi jovial est nommé Logo du siècle.
5- Servir le client au-delà d’un produit immédiat
Nous connaissons tous le Guide rouge Michelin, cette mine de renseignements pour voyager malin, avec hôtels et restaurants conseillés. Il a été publié pour la première fois en 1900. « Tout ce qui est bon pour l’automobile est bon pour le pneumatique ! » disait-on alors chez Michelin. Pourquoi un guide ? Parce qu’au début du siècle, les routes de France étaient muettes et s’orienter représentait toute une aventure. Pour y remédier, les frères Michelin inventent et déclinent le GPS de l’époque : guides en 1900 – d’abord gratuits –, guides touristiques avec leur célèbres étoiles en 1926, cartes routières avec pliage en accordéon pour être consultées en voiture en 1910, bureau des Itinéraires (Michelin envoie par la poste et gratuitement le meilleur itinéraire conseillé à qui le lui demande), numérotation des routes, bornes de signalisation jusqu’en 1970 … autant de pépites, au service de l’automobiliste comme à celui des professionnels du tourisme.
6- Oser innover en remettant en cause des savoir-faire qui marchent déjà bien
L’histoire du pneu radial est à ce sujet éloquente. Ce sont les Anglais qui ont mis au point en 1913 la méthode à carcasse radiale… mais c’est Michelin qui dépose le brevet en 1948. En commercialisant ce pneu plus résistant, donc plus durable, Michelin prenait le risque de fermer des usines : mathématiquement les ventes allaient diminuer. François mise pourtant sur cet avantage pour attirer de nouveaux clients. L’histoire lui a donné raison, en faisant passer l’entreprise de la dixième à la troisième place mondiale.
7- Défier, s’amuser, pour finalement… gagner
Pour participer à la course Paris-Bordeaux-Paris de 1895, les frères Michelin vont produire trois voitures maison. Seule l‘Eclair parviendra à destination mais en bonne dernière, à cause de… trop nombreuses crevaisons. Qu’à cela ne tienne : de 1895 à 1907, Michelin participe à toutes les courses possibles, remporte de plus en plus de succès. Ces challenges relevés et ces progrès remarquables font partie de l’aventure. Non sans humour : en 1924, André sème des clous sur le parcours d’une course cycliste Paris-Clermont pour souligner la robustesse de ses pneus. Place de la Concorde, pour narguer la RATP qui fait voyager ses passagers dans des autobus toujours pas équipés de pneumatiques, il transporte des cochons confortablement installés dans un camion roulant sur pneus ! On reconnaît là un esprit d’entreprise singulier et bien français, un peu brouillon à ses débuts mais terriblement attachant.
8- Mettre les mains dans le cambouis
Lorsque François Michelin entre en 1951 à l’usine des Carmes, il accepte la règle familiale : faire d’abord ses preuves à chaque échelon pour prétendre ensuite exercer les fonctions de commandement. C’est donc sous une fausse identité que François occupe plusieurs années durant, les postes d’ouvrier, de chef d’équipe puis de responsable d’atelier et de représentant de commerce. Un parcours exigeant qui lui apportera une expérience irremplaçable et une proximité naturelle avec tous ses collaborateurs.
9. Garder les commandes, se montrer responsable sur le long terme
Dès le départ, Michelin est une entreprise en commandite où les gérants engagent leurs biens propres. Cette responsabilité personnelle représente un avantage en termes de souplesse de décision : les dirigeants n’ont pas besoin de tenir conseil pour faire valider leurs décisions. N’oublions pas que Michelin est d’abord l’histoire d’une famille, acteur décisif des innovations les plus audacieuses qui donnent du sens à l’entreprise, dans la région et le pays qui l’abritent. Nul doute que la famille Michelin peut s’honorer d’avoir été ce fil conducteur.
10. Travailler en homme de conviction et de sens
On a beaucoup critiqué le « paternalisme » de Michelin. En son temps il a probablement été un avantage pour les salariés, et il a de toute façon pris fin dans les années 60 (Les Echos). Homme de foi, François Michelin avait un respect des hommes chevillé au corps. « Deviens ce que tu es », telle était sa devise. Laissons-lui les derniers mots sur le sens qu’il donnait à la vie : « Vous connaissez l’histoire des trois tailleurs de pierre ? On leur demande : « Qu’est-ce que vous faites ? ». Le premier répond : « Je taille une pierre ». Le deuxième : « Je fais une sculpture ». Et le troisième : « Je construis une cathédrale ». Alors, peu importe la taille de la cathédrale si c’est quelque chose qui a un sens».
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