Le dictionnaire attribue deux significations à la domination : exercice d’une puissance souveraine, d’une part, et emprise d’autre part. Dans le management, un responsable doit pouvoir exercer son autorité pour défendre son entreprise ou son service, notamment en situation de crise. C’est le premier sens, légitime. Mais la domination peut également signifier un abus d’autorité, une emprise malsaine. C’est ce deuxième sens qui nous intéresse ici. Sur quoi s’appuient ces comportements pervers de domination managériale ? Trois facteurs peuvent retenir notre attention
1. Les impératifs de résultats décidés en haut lieu, induisent une pression sur toute la ligne hiérarchique.
Pourquoi donc 20% des cadres ne veulent plus diriger leur équipe ? « Beaucoup de managers se retrouvent coincés entre le marteau et l’enclume. Souvent à des postes intermédiaires, ils sont pris entre les attentes de leur équipe et les impératifs venus d’en haut… Cela ne leur laisse bien souvent que peu de marge de manœuvre, ce qui crée un sentiment d’inutilité, voire de frustration. Cette charge physique et mentale est épuisante. »
Il arrive en effet que le manager se retrouve piégé : dominé par ses supérieurs, il transmet alors cette pression sur son équipe. Il doit se montrer loyal envers la direction et solidaire avec ses pairs managers eux aussi dans le même bateau. Qu’elle soit bonne ou mauvaise, la décision est reçue comme un impératif et transmise comme une obligation. La domination crée une culture de l’obéissance sourcilleuse, d’autant mieux installée qu’elle obtient de bons résultats, mais à quel prix …et jusqu’à quand ? D’où le sentiment de malaise et de culpabilité que ressentent certains cadres dont on nie le besoin pourtant légitime d’autonomie.
2.Certains managers cherchent à satisfaire leur ego en imposant leur supériorité hiérarchique
Il existe un type de domination managériale qui ne s’appuie ni sur l’efficacité ni sur la culture d’entreprise, mais sur un ego qui se valorise en imposant un comportement servile. Dans certaines organisations, des niches peuvent se constituer, où les managers se livrent en toute impunité à des comportements de harcèlement et d’hostilité. Dans son récit Michelin, matricule F276710 Jean-Michel Frixon en donne des exemples concrets. La négligence des supérieurs qui ne veulent pas voir, la fragilité des victimes qui n’osent pas parler, une omerta entre les salariés eux-mêmes qui ne s’entraident pas, tout cela encourage les comportements managériaux pervers.
3. La législation qui établit un lien de subordination entre le salarié et le patron semble justifier un comportement de domination.
À strictement parler, selon le droit français, le contrat de travail stipule que le patron décide et le salarié exécute. Cette asymétrie favorise la prise de décision, mais risque d’entraîner un comportement de domination vers une dérive négative.
Les deux premières situations ne sont pas les plus courantes
Le management souffre de ces dominations structurelles ou individuelles. La lucidité impose de les dénoncer. Mais il serait mensonger d’affirmer que cet esprit de domination est le plus fréquent : une enquête de 2019 faisait apparaître que 86 % des cadres aiment faire progresser leurs équipes, et que le « facteur humain » est bien plus important pour 75% d’entre eux que « le fait d’être chef », cité seulement en dernière position (7%). Il faut donc rétablir la vision du management souvent délétère véhiculée par la presse, la littérature, les films… : la satisfaction des managers la plus courante consiste à faire progresser leurs équipes. Avec cette condition majeure : que les managers intermédiaires disposent d’une marge de manœuvre opératoire.
Pour une dynamique managériale qui réduit la subordination et encourage la coopération
Ce qui est en cause ici est l’exercice de l’autorité dans une société largement individualiste. La vision wébérienne de l’État comme « monopole de la violence légitime » a largement inspiré un management vertical sévère. Il faut certes disposer d’un pouvoir légitime unique pour sauver une organisation en crise par exemple, ce qui parait être une justification implicite de la subordination salariale. Mais c’est là une vision juridique de l’autorité, et non pas sa nature. Car l’autorité est essentiellement le service d’un bien commun dont la clé est la coopération de tous, et non l’obéissance servile de chacun. Former les jeunes managers à une telle dynamique est un impératif majeur pour éviter la souffrance managériale. Il s’agit de prendre conscience que la coopération de tous est la voie royale d’une performance durable, bien plus qu’une logique de la domination à sens unique.
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