Billet Iphae

Mais qu’est-ce qu’ils ont tous à vouloir faire de la méditation ?

La presse semble enthousiaste ! La méditation permettrait de lutter contre le vieillissement (pourquoi docteur), de distinguer l’urgent de l’important (Christophe André), de mieux dormir (Le Figaro), elle apaise le stress (Huffington Post);  il existe même une application à installer sur son téléphone portable :  » Mind ou la méditation pour tous et partout en 10 minutes »! La méditation version « pleine conscience » est devenue la coqueluche de nos contemporains, et le monde du travail n’est pas en reste : la méditation fait rimer business avec sagesse (Le Capital), elle permet de redécouvrir le temps présent (RSE.NET), elle est une clé d’efficacité personnelle au service des cadres stressés (L’Express)…

Au fait, c’est quoi la méditation mindfullness ? La « réduction du stress à partir de la pleine conscience » (en anglais, Mindfulness-Based Stress Reduction ou MBSR) a été développée par le médecin américain Jon Kabat-Zinn en 1975. La méditation Mindfulness est une adaptation de la méditation bouddhiste pleine conscience pour combattre l’angoisse, le stress, la maladie et la douleur. Elle est aussi une technique de bien-être qui permet aux individus de vivre plus intensément le moment présent. « S’arrêter et observer, les yeux fermés, ce qui se passe en soi (sa propre respiration, ses sensations corporelles, le flot incessant des pensées) et autour de soi (sons,  odeurs…).  Seulement  observer, sans  juger, sans  attendre  quoi  que  ce  soit, sans rien empêcher d’arriver à son esprit, mais aussi  sans  s’accrocher  à  ce  qui  y  passe.  C’est tout. C’est simple. C’est la méditation de pleine conscience. Et  c’est  bien  plus  efficace  que  cela ne  pourrait  le  paraître  aux  esprits  pressés  ou désireux de se « contrôler ». Ainsi commence un article de Christophe André sur la pratique Mindfulness qui donne un bon aperçu de la question.

Que penser de la méditation Mindfulness ? Cette pratique d’origine américaine ne peut totalement se démarquer de son parfum « new age » que le journaliste Philippe Coste décrit avec humour : l’Omega Institute, la Mecque des pratiques New Âge, invite les stars de la Mindfulness Based Stress Reduction (MBSR) mais abrite également des séminaires où l’on apprend l’art de « divorcer avec puissance et clarté » (et « renaître de ses cendres »), ou celui de chuchoter aux arbres (l’art du tree whispering)…

Plus sérieusement, le fait d’arrimer la méditation à une tradition bouddhiste peut interroger un occidental. Tout le monde n’est pas un Alexandre Jollien, capable de se nourrir à la source des traditions occidentale et orientale. En général, on remarque dans le monde de la méditation « mindfulness » une ignorance crasse (un déni ?) de la méditation occidentale, qu’elle soit religieuse avec le judéo-christianisme ou encore philosophique avec la source grecque. Les deux sont pourtant d’une grande richesse. Je n’aborderai ici que la source grecque en m’appuyant sur Pierre Hadot, grand spécialiste français de la philosophie antique, qui a montré comment la philosophie est considérée dès son origine comme « exercice spirituel » permettant de vivre une situation pratique dans tous les champs de l’expérience humaine, avec un regard ample et fécond. Voici trois conseils à glaner dans ce patrimoine inépuisable.

1- « Ajouter à la situation un discours intérieur ». Cette formule d’Epictète est caractéristique de la méditation stoïcienne. Elle suppose pour chacun la décision de ne pas subir la situation, et tout particulièrement le flux du temps : ne pas céder à l’impératif de la réactivité, mais défendre pour soi un temps intérieur pour apprivoiser la situation présente.

2- La pratique du détour. Lorsqu’on les interroge, les maitres de la méditation antique n’offrent pas une réponse immédiate. Ils procèdent par détours et répétitions « destinés […] à intérioriser parfaitement le savoir » (2004,146-47).  C’est dire que l’exercice méditatif n’est pas seulement un temps court dans l’ordre de la connaissance mais « un progrès qui nous fait plus être, qui nous rend meilleurs » (2002, 23). Il suppose un temps long où s’élabore un état de conscience de soi, une vision du monde plus juste et plus libre.

3- L’attention : voilà une attitude fondamentale d’exercice spirituel selon les stoïciens. Grâce à elle, le sage cherche à savoir et vouloir pleinement ce qu’il fait à chaque instant. L’attention éveille à la réalité et discerne à tout instant ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous. Elle est vigilance, présence d’esprit continuelle, à la fois concentration sur le moment présent et ouverture au monde.

On le voit, la sagesse antique recèle des secrets qui mériteraient d’être redécouverts. Pas seulement à l’Université, mais également dans nos lieux de travail. Car si la méditation est une soif bien compréhensible de notre société technicienne, elle gagnerait à s’inspirer de notre patrimoine de sagesse.

“Celui qui médite vit dans l’obscurité ; celui qui ne médite pas vit dans l’aveuglement. Nous n’avons que le choix du noir.” Victor Hugo

“Une demi-heure de méditation est essentielle sauf quand on est très occupé. Alors une heure est nécessaire. » Saint François de Sales

“On croit qu’on amène son chien pisser midi et soir. Grave erreur : ce sont les chiens qui nous invitent deux fois par jour à la méditation. » Daniel Pennac


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