Billet Iphae

Quelle est la bonne distance managériale ?

« Post truth », tel est le mot de l’année selon l’Oxford dictionnary. il s’agit « de circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles ». Une vieille idée, selon laquelle les politiques sont obligés de mentir pour se faire élire, les promesses non tenables sont le préalable à leur élection, avec pour conclusion des électeurs déçus. Cette idée se voit amplifiée d’une façon exceptionnelle aujourd’hui où la société de spectacle privilégie l’émotion plutôt que les faits, émotion démultipliée par les réseaux. Le pouvoir s’obtenant par le consentement, certains politiques s’efforcent de faire rire, d’amuser (politique entertainment, infotainment), d’assurer le spectacle tel Boris Johnson, ancien maire de Londres et partisan du Brexit, dont le slogan de campagne 2004 était : « Si vous votez Tory, votre femme aura de plus gros seins et vous augmenterez vos chances d’avoir une BMW ». Oh le beau programme ! On connaît également le « décoiffage » filmé de Donald Trump par un animateur télé. Occuper l’espace médiatique, « faire le buzz » : l’essentiel est de créer un lien affectif favorable, et non plus d’habiter sa fonction. Exit le sérieux, bienvenue le fun.

La stratégie du leader bouffon interroge nos sociétés mais aussi la conception que l’on se fait du management et de l’autorité : quelle place faut-il donner au sérieux ? Jusqu’où aller dans l’auto dérision, puisque notre époque, se méfiant des donneurs de leçons, refuse de « confondre la profondeur et l’ennui », selon le mot de Guitry. Entre l’intégrité altière d’un de Gaulle et l’entertainment politique soutenue par certains médias, il y a une contradiction, et le manager ne sait pas toujours où placer le curseur entre la dimension publique de sa fonction et l’authenticité de sa relation, entre le sérieux et la légèreté, entre le prestige et la dérision. Il s’agit bien ici d’une question d’image à donner.

Aristote ne condamnait pas la rhétorique. Elle servait selon lui le menteur comme l’honnête homme. Et il est vrai que l’adhésion à un projet est facilitée par la présentation qu’on en donne. Le projet est-il  faible voire inexistant ? Reste alors la rhétorique, qui prend une place démesurée pour susciter l’adhésion. Est-il puissant, pertinent ? Son représentant est légitimé et la rhétorique peut se faire plus discrète : « la véritable éloquence se passe de toute éloquence » disait Pascal.

Je militerais donc volontiers pour la primauté du fond sur la forme : quand l’image n’est pas recherchée en tant que telle, elle prend plus facilement sa juste place en devenant la résultante d’une attitude non feinte, et c’est cette attitude que ressent l’équipe à travers l’image donnée. Le véritable manager habite sa fonction sans s’y confondre, lui seul peut gérer le paradoxe du management, qui allie une image de proximité et de distance. Est-il besoin d’encourager ? Le manager se fait coach, il fait preuve d’empathie, absorbe le stress négatif de ses équipes, sa présence rassure. Est-il besoin de rétablir l’ordre ? Garant de l’institution, il prend la distance nécessaire, combat résolument les difficultés ou les menaces, se montre âpre voire incommode s’il le faut.

Cet équilibre entre  proximité et distance est une clé du management. Si l’on n’accepte plus désormais un manager trop souvent distant, la seule proximité sympathique voire humoristique est tout aussi dangereuse. Les équipes, toujours plus exigeantes de qualité, veulent des managers qui savent se montrer sérieux et détendus.

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